Chronique de décembre 2020 Un serpent qui se mord la queue (Muse inspiratrice, partie 2)

La science, hélas ! est comptable de maints désenchantements. La somnologie de la fin du XXe siècle va démonter, à contrecœur, cette belle croyance en la muse morphéico-onirique !


Dès 1901, du reste, dans Sur le rêve, Freud mettait déjà en garde contre la surestimation de l’activité onirique… telle que sa prétendue faculté à « produire des opérations hors du commun ».

Si vous songez à vos cours de chimie dans le secondaire, vous vous souviendrez certainement du rêve de Kekulé. Vers 1865, ce chimiste allemand étudiait les caractéristiques du benzène. Or deux propriétés de cette molécule — la monovalence de l’hydrogène et la tétravalence du carbone — ne « collaient » pas avec la configuration spatiale qui lui était alors attribuée. Un véritable casse-tête, pour Kekulé. Jusqu’à cette fameuse nuit où la solution lui vint… en rêve. Le songe en question portait sur un serpent occupé à se mordre la queue (il s’agissait d’un Ouroboros¹, le symbole grec du cycle éternel de la nature). Et c’est ce reptile qui, si j’ose dire, lui mit la puce à l’oreille : la structure du benzène était circulaire — comme l’Ouroboros —, et non pas linéaire, comme on le croyait jusque-là. Cette découverte, déterminante, donna naissance à une nouvelle branche de la chimie organique : celle des molécules aromatiques.

Oui… sauf qu’il ne s’agissait pas d’un rêve ! Une hallucination hypnagogique, tout au plus (Kekulé rapporte avoir fait ce « rêve » juste après l’endormissement). Ou, plus probablement, un effet de manche glissé, par l’intéressé lui-même, dans le discours qu’il prononça en 1890 à l’occasion du 25e anniversaire de la publication de son premier article sur le benzène !

Autre création, autre déception. Il est actuellement admis que le fameux « rêve » qui inspira à l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson l’intrigue de sa célèbre (et très longue : 114 pages) nouvelle L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde (1886) n’était, en réalité, que les rêveries d’un insomniaque.

Idem pour Howard Phillips Lovecraft, et sa nouvelle intitulée La Tombe, William Blake, et son procédé de gravure sur cuivre et — déception des déceptions — Paul McCartney, et la célébrissime mélodie de sa chanson Yesterday… fruit, au mieux, d’une hallucination hypnopompique.


¹Serpent qui — avalant sa propre queue — s’unit à lui-même, s’engendre lui-même, meurt par lui-même, se transforme lui-même et, finalement, renaît de lui-même.


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