Bien entendu, lors de son apparition, cette encéphalite léthargique, trouble spectaculaire s’il en est, attira l’attention de nombreux neurologues…
Dont celle de Constantin von Economo, Viennois d’origine roumaine, et d’ascendance grecque. Crédité pour avoir décrit, en même temps que le pathologiste et pédiatre français Jean-René Cruchet (moins resté dans les mémoires), le premier cas de ce qui allait bientôt être connu sous le nom de « maladie de von Economo-Cruchet », il se démarqua rapidement.
Dès 1916, les premiers cas à peine apparus, von Economo entreprit des recherches approfondies. Un premier article, publié en 1917, témoigne de l’avancement de ses travaux. Ceux-ci aboutirent, finalement, à la formulation de la première théorie neurobiologique du sommeil digne de ce nom.
Théorie extrêmement intéressante, au demeurant, car en rupture totale avec la doxa en vigueur à l’époque… ce qu’il est convenu d’appeler le modèle passif du sommeil. Selon ce modèle, parfaitement erroné, le sommeil était considéré comme l’état de vigilance par défaut, celui qui demeure lorsque l’éveil est désactivé. L’éveil revendiquait donc le statut de seul état de vigilance neurologiquement actif. L’histoire de la somnologie retiendra que von Economo fut le premier neurologue à avoir proposé un modèle actif du sommeil.
Malheureusement, la formulation de ce modèle contenait, elle aussi, une erreur, de taille : elle plaçait le générateur de sommeil (puisqu’il en existait bien un) — tout comme le générateur d’éveil, du reste — dans l’hypothalamus… c’est-à-dire dans le cerveau. Ce qui s’avéra, par la suite, tout-à-fait inexact. Mais, rétrospectivement, von Economo faisait néanmoins preuve d’un indéniable flair. Dans la seconde moitié du XXe siècle, en effet, on allait découvrir que l’hypothalamus (et plus précisément ses noyaux supra-chiasmatiques) était le siège de l’horloge biologique circadienne veille/sommeil… laquelle commande les deux générateurs en question !
Dans les années 1930, une autre figure émerge : celle de Frédéric Bremer, neurophysiologiste belge, de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), considéré comme le père de la recherche sur le sommeil en Belgique.
Ses expériences sur le chat — où il séparait, par incision, soit le cerveau du tronc cérébral¹ (la coupe était effectuée au-dessus du mésencéphale) : préparation dite « cerveau isolé », soit l’encéphale de la moelle épinière (la coupe était alors effectuée sous le bulbe rachidien) : préparation dite « encéphale isolé » — le conduisirent à réhabiliter la théorie passive du sommeil ! Vulgate qui reprit, ainsi, du poil de la bête jusqu’au début des années 1950. Cette théorie considérait, derechef, le sommeil comme un phénomène neurologiquement inerte, résultant, tout simplement, de la désactivation de l’éveil. Aujourd’hui, nous savons que si ni l’éveil ni le sommeil ne sont activés, l’état de vigilance qui en résulte n’est certainement pas du sommeil… mais bien du coma !
Cependant, ces mêmes expériences allaient permettre à Bremer de localiser le générateur d’éveil dans le tronc cérébral — entre la moelle épinière et le cerveau, donc —, et non plus dans le cerveau, comme le pensait précédemment von Economo. Découverte qui s’avéra, par la suite, parfaitement exacte. Cela allait constituer la seconde grande découverte de la somnologie neurobiologique.
¹Le tronc cérébral est la structure neurologique sise entre le cerveau et la moelle épinière. L’association du cerveau, du tronc cérébral et du cervelet forme l’encéphale : tout ce que contient la boite crânienne, en somme. Le tronc cérébral se subdivise, lui-même, en trois structures distinctes : le mésencéphale (partie supérieure), le pont ou protubérance (partie médiane), et le bulbe rachidien (partie inférieure).