Chronique d’octobre 2024 Tétrade cinématographique (En quête d’une définition, partie 3)

Dans le Dictionnaire usuel de psychologie, Norbert Sillamy, psychologue et psychanalyste, propose une définition similaire à celle donnée par le Petit Robert.


À ceci près que l’auteur tient, fort à propos, à faire ressortir la veine psychophysiologique du rêve — la grande oubliée des dictionnaires examinés jusqu’ici —, notant que cette dernière a « envahi ce domaine, posant de nouveaux et difficiles problèmes ». Il prend la peine, par ailleurs, de distinguer rêve d’angoisse et cauchemar. Le cauchemar peut être tenu pour un rêve qui a démérité, un songe dont la mission de « bodygard du sommeil » — tel que théorisé par Freud — a échoué, puisqu’il se solde toujours par un éveil conscient (ce qui fait d’ailleurs partie intégrante de sa définition) ! Ce qui n’est absolument pas le cas pour le rêve d’angoisse, lequel parvient — certes au prix d’un degré variable d’inconfort psychique — à remplir sa tâche : l’éveil conscient est évité, le vécu de continuité du sommeil est préservé. Enfin, pour clôturer, l’auteur se risque à énoncer certaines fonctions présumées du rêve : maintenir l’équilibre mental, décharger les tensions psychologiques, harmoniser les différents niveaux de la vie psychique… une série d’axiomes, au demeurant fort redondants, suffisamment vagues que pour ne pas risquer de faire trop de... vagues.

Le Grand Dictionnaire de la psychologie Larousse, quant à lui, fait non seulement la part belle à la psychophysiologie — ce qui est déjà méritoire en soi — mais, surtout, il présente le rêve comme le résultat d’une élaboration de l’esprit : « l’activité mentale survenant au cours du sommeil »… laquelle se fait dans un but précis (comme toute activité mentale). Cet accent mis sur le mental (le traitement du vécu de l’expérience) ainsi que sur l’intentionnalité place, à mes yeux, cette définition au-dessus des précédentes.

ChatGPT — le désormais incontournable outil d’intelligence artificielle — ne se débrouille pas trop mal non plus : « Suite d’images, de pensées ou de sensations qui se produisent dans l’esprit d’une personne, pendant son sommeil. Il s’agit d’une activité mentale souvent involontaire et parfois incohérente ». Cette définition reprend un certain nombre de notions déjà envisagées précédemment : l’aspect pluriel des phénomènes produits, la nature mentale de ces phénomènes, les deux types de représentations mentales investies (images et pensées), l’état de vigilance prérequis (le sommeil) et l’existence d’une intentionnalité inconsciente sous-jacente à tout le processus. Elle introduit, en outre, un second dispositif mental, au côté de celui des représentations : celui des sensations.

Last but not least, le très pointu Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis — la bible des psychanalystes de langue française —, ne réserve, tout simplement, aucune entrée pour le mot rêve, alors que celui-ci est, pourtant, comme chacun sait, au cœur même tant de la théorie que de la pratique analytique ! Il faut se contenter soit de l’entrée travail du rêve (« ensemble des opérations qui transforment les matériaux du rêve en un produit : le rêve manifeste »), soit de l’entrée contenu latent du rêve (« ensemble de significations auquel aboutit l’analyse du rêve »), soit, enfin, de l’entrée contenu manifeste du rêve (« le rêve avant qu’il soit soumis à l’analyse, tel qu’il apparaît au rêveur qui en fait le récit »). Ce qui importe tient donc manifestement davantage du processus — le travail mental qui se charge de fabriquer le rêve (le codage), ainsi que le travail d’analyse permettant de l’interpréter (le décodage) — que du contenu (le rêve, en tant que tel). On voit poindre, par ailleurs, dans la définition du contenu manifeste, une seconde considération, capitale : qui dit rêve, dit récit… et qui dit récit, dit relation (ne serait-ce qu’avec soi-même). Sans prendre en considération cette dimension verbale et relationnelle des songes narrés par le rêveur, on risque fort de passer à côté du sens profond de ces derniers (« Le rêve n’existe pas en dehors du récit qui s’adresse à un Autre », dixit Roland Gori, psychanalyste à Marseille) !

Pour clore le chapitre, nous laisserons le mot de la fin à Pierre-Hervé Luppi, successeur de l’immense Michel Jouvet (l’un des principaux « papes » tant de la somnologie que de l’onirologie) à la tête de la SLEEP Team du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon : « Le rêve est une production mentale hypnique élaborée, impliquant des hallucinations¹, un scénario, des mouvements² ainsi que des émotions »³ (communication orale faite lors du congrès Le Congrès du sommeil, cuvée bordelaise, millésime 2012)… le pendant mental d’un film, en somme. Qu’un seul élément de cette « tétrade cinématographique » (images/sons/sensations, histoire, mouvements et émotions) vienne à manquer, et il devient très difficile, dès lors, de parler, encore, de rêve. Notez que l’aspect cérébral est, une fois de plus, totalement expurgé de cette définition, ce qui est pour le moins étrange — mais également très révélateur — de la part d’un neuroscientifique d’une telle stature !


¹Stricto sensu, une hallucination est une fausse perception survenant à l’éveil (ce qui implique une dimension pathologique). C’est pourquoi je mettrai dorénavant ce mot entre guillemets lorsqu’il désigne les fausses perceptions (images, sons, sensations…) constituant les rêves.
²Auxquels le rêveur prend part à titre de « vedette ».
³Dans La science des rêves, film sorti en 2006, Michel Gondry propose une définition assez similaire en des termes poético-comiques : « La fabrication des rêves, on croit que c’est simple et facile, mais en fait, c’est assez complexe. Il s’agit d’une délicate combinaison d’ingrédients variés. Tout d’abord, deux cuillers de pensées éparses, saupoudrées de réminiscences de la journée ; j’ajoute un nuage de souvenirs ; amour, affection, relation et autres trucs en ’’tion’’ ; puis des chansons entendues, des choses vues… et une touche personnelle ».


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